mardi 19 mars 2019

Le prolongement de ma main

Je me rappelle très bien ce moment magique où j'ai pris conscience que mon bateau était devenu le prolongement de ma main. C'était une fin de journée d'été, et j'arrivais au mouillage de l'anse du Salus (un mouillage de très beau temps) situé sur l'Île de Houat. Après avoir affalé le foc, je suis venu doucement face au vent. J'ai molli la drisse de grand-voile qui est tombée dans son lazy-bag.

Le voilier a parcouru encore quelques longueurs, puis s'est arrêté sur son erre. J'ai laissé rapidement filer la ligne de mouillage pour poser l'ancre sur le fond de sable. J'ai fait un tour mort avec le câblot que j'ai donné à la demande alors que le bateau culait. A la longueur voulue, j'ai frappé la ligne sur son taquet. La ligne s'est tendue, durcie, le bateau à lentement viré dans le lit du vent et s'est arrêté.

J'ai alors éprouvé, dans le silence qui répondait au ciel, la réponse d'un moment parfait. Un sentiment d'accomplissement simple, joyeux, positif. Sentiment d'unité avec les éléments mais aussi, et en particulier, avec ce voilier qui, de jour en jour, répondait à mes sollicitations de la plus docile des manières, jusqu'à cet instant où tout d'un coup, je prenais conscience du lien que j'avais créé avec lui, une sorte d'accord parfait.

Je n'avais rien fait de spécial pour atteindre cette plénitude à cet instant précis, mais j'ai compris ce jour-là que ce qui l'avait rendu possible était l'adéquation physique et mentale entre le bateau et moi-même. Entre mes décisions et les manœuvres qui en découlaient. Entre mes envies et les conditions de navigation. Entre moi et un environnement marin particulier.

Avec l'expérience, je m'aperçois que cet accord parfait ne va pas toujours de soi. En discutant avec d'autres voileux, leurs témoignages, comme le mien, me montrent qu'effectivement, les choses se passent parfois dans une certaine douleur et que certains voiliers sont plus difficiles à "apprendre" que d'autres. Les essais des revues nautiques n'ont rien à voir là-dedans, aussi objectifs peuvent-ils être.

On dit souvent que ce qui détermine le choix d'un bateau, c'est le programme qu'on se propose de suivre. C'est très juste et c'est absolument essentiel. Il ne sert à rien de faire l'acquisition d'un 420 en s'imaginant pouvoir faire de la navigation hauturière. Par contre, moyennant une préparation sérieuse de ce type de dériveur (et du marin), un tour de Corse en été par exemple, est tout à fait envisageable.

Tout commence toujours par un désir, puis une volonté. On définit un programme, un voyage, une destination, une période de l'année. Ces éléments vont conduire à envisager de choisir le vaisseau de ce désir originel. Et il est toujours difficile, dans ces moments-là, de garder les pieds sur terre.

La réponse est en nous. Quelles sont mes propres compétences? Maritimes, techniques, physiques et mentales. Aucun choix sérieux ne peut faire l'économie de s'interroger sur soi-même. Écrire ses interrogations peut permettre de les cerner et d'y répondre en toute honnêteté, hors du confort grisant du bistrot du club nautique.

La formule pourrait être : le Désir (qui naît d'un rêve), la Réflexion (issue de l'introspection), la Décision (provenant d'un choix), l'Armement (qui suit l'acquisition). C'est cette démarche personnelle qui ne laisse aucune part à l'ombre qui va conduire à la réussite du projet nautique, quel qu'il soit. Cependant, rien ne devrait empêcher de se mettre la barre au-dessus de soi. En toute conscience. En toute indépendance. C'est ce qui permet d'avancer, de se dépasser et de vivre des choses qui font battre le cœur.


Alors et ensuite, il faudra apprivoiser l'oiseau du large, apprendre ses possibilités, ses limites. Lui parler et surtout l'écouter. Et lui répondre. S'entraîner à la manœuvre avec lui sans relâche, faire corps avec lui. Le soigner de préférence avant qu'il ne se blesse et le faire après, en lui demandant pardon, car s'il est blessé, c'est souvent à cause du marin. L'oiseau du large est aussi parfois un tigre qu'il faut aussi apprivoiser et surtout dompter. Ne jamais oublier que ses forces sont souvent bien supérieures aux nôtres. C'est grâce à elles qu'il pourra nous emmener de l'autre côté de l'horizon. Raison de plus pour s'affûter.

Alors, on pourra appareiller et rêver les yeux grands ouverts.


"L'effort qu'on fait pour être heureux n'est jamais perdu" 
- (Alain)


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